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La République Socialiste Fédérative des Soviets de Russie : l'épée brisant les chaînes de l'oppression

(Cet article a été initialement publié dans la Gazette du Cercle Philatélique France-Russie. Je remercie le Président du Cercle, Gérard Leblanc, qui a mis à ma disposition les ressources de l'association et en a permis l'amélioration.)

 Dès l'abdication de Nicolas II  le 2 mars 1917 (15 mars selon le calendrier grégorien), le pouvoir passe aux mains du Gouvernement Provisoire, dont le Prince Lvov préside le premier.. 

D'obédience socialiste, il lui faut un symbole fort. Quoi de mieux entre autres que le timbre, d'usage courant, qui passe entre toutes les mains et qui symbolise le pouvoir?

Dès les premiers mois de 1917, il lance un appel à projets. De tous les artistes impliqués, c'est le célèbre Richard Zarinch qui l'emporte avec son essai.

 



Des quatre essais qui vous sont présentés ici (d'autres avaient été proposés par plusieurs artistes), le plus radical est retenu.

Connu pour sa participation à la série du tricentenaire des Romanov, puis des timbres de bienfaisance de 1914, Richard Zarinch s'attelle à la commande, au choix retenu par le pouvoir politique de dessiner "une épée brisant les chaînes de l'oppression". Les valeurs retenues à ce moment correspondent aux tarifs en vigueur de 5 à 20 kopecks.

En voici quelques épreuves, émises aux alentours du 28 août :





Le pouvoir passe cependant très vite aux mains des bolchéviks. Nicolas Pavlovitch Avilov-Glebov ne retient que le 15k marron et barre les autres projets. Puis cette démarche est  abandonnée. Dans leur recherche d'un monde débarrassé des symboles impériaux, et avant tout pragmatiques, Les bolchéviks, et en l'occurrence le Commissariat National des Postes et Télégraphes, reviennent finalement vers Zarinch et lui demandent de revoir sa proposition première. Des essais sont émis : 

essai de fond

 essai de centre

Des épreuves aux couleurs rejetées :

orange

vert

puis acceptées le 22 mai 1918 par V Podbelski, le Commissaire National. Ils correspondent aux tarifs en vigueur au 28 février 1918 de 35k pour une lettre et de 70k pour un recommandé.

 

marron (utilisé en 70k)
bleu (utilisé en 35k)
Ce 10k est intéressant car il représente enfin le dessin retenu, avec des motifs floraux.

Cependant, dès le 15 septembre, dans une démarche globale pour aller vers la gratuité qui interviendra le 1 janvier 1919, les tarifs postaux sont abaissés. Les valeurs émises deviennent désuètes. Ce timbre est donc rarement employé, d'autant que les bolchéviks ne contrôlent qu'une petite partie du territoire de l'ancienne Russie.

Le 7 novembre 1918, le timbre est enfin émis et diffusé sur papier bâtonné en losanges, à la date anniversaire de la Révolution. Le procédé utilisé est la typographie, et le timbre dentelé en 13 1/2. Les timbres sont imprimés en feuilles de 100 (10*10) et protégés par un bâtonnage en lozanges, comme les timbres de l'Empire. Ils sont souvent mal centrés. Vous noterez les initiales de Richard Zarinch dans le bas du timbre.
 
Le 35k :

le 70k :

 
Cette série est remarquable par en sa qualité de "collectionnable" ; de ses variétés à ses erreurs, en passant par son emploi postal, il est possible d'établir une collection de tout premier plan.
 
En effet, outre les nuances de couleurs, ces timbres comportent un très grand nombre de variétés liées aux plaques d'impression. Celles-ci ont été abondamment traitées par la littérature philatélique. Les impression successives (4 ou 5 selon les catalogues) ont ainsi multiplié ces mêmes variétés.

Deux pages de mon vieux catalogue du Cercle Philatélique France Russie vous donneront un aperçu de ces variétés :
 


Mon propos n'est donc pas ici de remplacer ce catalogue, ni de mentionner des variétés qui ne s'y trouveraient pas. De bien plus grands spécialistes s'y sont attelés et je n'aurai pas la prétention d'aller sur leur domaine d'excellence. Non ; mon propos est donc juste de montrer la richesse de cette émission et d'inciter tout un chacun de collectionner ce petit timbre riche d'une histoire extraordinaire.

En conséquence, si j'évoque quelques variétés, cela sera sans distinction du 35k et du 70k, laissant aux uns et aux autres la liberté de se renseigner davantage si le coeur leur en dit.

Je parlais donc des erreurs de plaques. Certaines sont donc mentionnées dans les catalogues, et ces variétés apparaissent ici entourées de rouge :
sur 35k :

 sur 70k :
 


D'autre sont ponctuelles, mais pas moins amusantes, comme celle-ci :

Il faut dire que cette épée brisée par les chaînes de l'oppression, cela a de quoi faire frémir tout bolchévique...

D'autre variétés, liées cette fois à la perforation en dentelure 13.5, sont à noter.

- des perforations déplacées :

-sur 35k :

 


sur 70k :


ou liées à un mauvais positionnement de la feuille


Enfin des perforations manquantes... remplacées par des perforations locales...


... ou pas, ce qui aboutit à des variétés très recherchées, avec des parties non dentelées.




Le graal du collectionneur, c'est le timbre non dentelé, dont il y a peu d'exemplaires. Le plus rare est le 70k.

Cette rareté, et le prix qui va avec, a donné bien évidemment lieu à des contrefaçons. Certains timbres non dentelés sur leur partie haute,ont été rognés sur leur dentelure, et il faut être très prudent lors de tout achat.

D'autre faux ont été faits de toute pièce, dans l'espoir de tromper le collectionneur.

- le 35k :


- le 70k :


Ces timbres typographiés se repèrent par un papier plus fin, très lisse, et par un dessin parfois irrégulier.

J'espère que ce petit panorama vous aura donné le goût d'approfondir cette analyse.

Références : 

La Gazette du Cercle Philatélique France-Russie,  Alexis Khripounoff, n°74 avril 1988

The Post Rider, N.J. Sheppard, n° 13 novembre 1983

Ceresa, The Postage Stamps of Russia, 1917-1923, volume V

Gérard Leblanc, Tarifs et dates de l'histoire postale russe et soviétique


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