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dimanche 6 octobre 2024

Carélie orientale 1921-1922 : Des ours et des hommes

     Après avoir été partie intégrante du Royaume de Suède depuis le XIIIème siècle, la Finlande se trouve peu à peu grignotée par l'Empire Russe, avec la perte de sa partie sud après la défaite de Poltava en 1709, puis sa cession complète en 1809 lors du traité de Friedrikshamn. Le Grand Duché de Finlande est ainsi constitué, depuis l'isthme de Carélie au sud jusqu'au grand nord, sans pour autant avoir accès à la mer de Barents.

Grand Duché de Finlande (copyright Dan Zalezky)

     La création d'une province finlandaise par le Tsar Alexandre 1er, qui conserve des privilèges et une relative autonomie contribue à créer une identité, et, au milieu du XIXème siècle, on assiste à une montée diffuse du nationalisme finlandais. Il faut se souvenir que l'empire russe est constitué d'une mozaïque de peuples et de religions, qui ne coexistent que par l'autorité répressive du pouvoir central. Les Finlandais, finnois d'ethnie et protestants de religion, ne se sentent pas proches de leurs tuteurs russes, slaves et orthodoxes. Ils parlent peu la langue. La Grande Guerre va marquer une rupture.

    La déclaration d'indépendance du 6 décembre 1917, puis sa reconnaissance par les bolchéviks le 4 janvier 1918 mettent de côté la question de la Carélie. Il s'agit pourtant d'un sujet majeur, les finnois de Finlande se retrouvant dans les finnois de Carélie. mais cette problématique s'exacerbe avec la dissolution de l'Empire Russe, et l'indépendance fait renaître l'espoir d'une grande Finlande.

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Grande Finlande (copyright Kahkonen)

Trait jaune : frontières de la Finlande au traité de Tartu (1920). 

Trait rouge : frontières de la Finlande au traité de Paris (1947)

  •  Carélie orientale
  •  Estonie
  •  Ingrie
  •  Finlande de 1918 à 1940, avec les régions perdues au profit de l'URSS
  •  Kola
  •  Tornédalie suédoise
  •  Finnmark norvégien

    Après maintes péripéties sur lesquelles je reviendrai plus tard, les tensions demeurent très vives entre la Finlande et le pouvoir bolchévik. La petite localité de Suomussalmi est l'épicentre des injonctions des nationalistes d'extrême-droite finlandais, qui voient par delà le lac Ladoga, jusqu'à la Mer Blanche, la frontière naturelle de la Finlande ; la Carélie dans son ensemble fait partie de ces ambitions, et cette petite ville jouera un rôle dans la suite de cette histoire.

    Dès juillet 1919, un gouvernement provisoire de la Carélie blanche voit le jour et s'associe comme un état partenaire de la Finlande, en réaction aux hostilités entre armées alliées et rouges qui dévastent la région. Il est basé à Uhtua. Cependant, en mai 1918, les troupes rouges occupent la région et les sécessionnistes se réfugient en Finlande.

    En octobre 1921, poussés par les nationalistes finlandais, lassés des exactions du pouvoir central soviétique et soucieux de profiter des derniers soubresauts de la guerre civile, la Carélie orientale se soulève, avec l'appui de volontaires finlandais. Le mouvement s'étend et parvient à prendre plusieurs localité dont Uthua  (Калевала en russe) Le pouvoir central russe envoie son meilleur officier, le général Toukhatcheski, mater la rébellion.

    A l'occasion de cette révolte, et parce que le timbre a autant une valeur monétaire que symbolique et politique, décision est prise en novembre 1921 d'émettre une série de timbres élaborée par Gustav Pamqvist, se basant sur des armoiries dessinées par l'artiste nationaliste Akseli Gallen-Kallelia, représentant un ours brandissant une épée ou, plus vraisemblablement une serpe. La série est émise de 15000 à 20000 exemplaires selon les valeurs.

Timbres de Carélie neufs

Voyons une valeur de plus près (cliquez pour agrandir) :



On voit donc dans l'ensemble des valeurs la mise en scène d'un ours, brandissant une serpe ou une faux et couronné d'aurores boréales, marchant sur des chaines. Si nous tentons une interprétation, nous ne pouvons ignorer que ces chaines sont probablement celles de l'oppression russe, à mettre d'ailleurs en rapport avec le premier timbre de la RSFSR, l'épée brisant les chaines de l'oppression émis en 1918... Quelle ironie! L'ours, symbole de force, d'intelligence et de puissance est prêt à affronter l'ennemi.
Ce choix de l'ours brandissant une arme n'est pas sans lien avec l'évolution de l'héraldique du Grand Duché de Finlande
vers celle de la tentative d'instauration d'une monarchie en 1918.
Ici, le lion, armé et toujours prêt à se défendre, finit en 1918 par piétiner le sabre russe, son oppresseur. La rapprochement que l'on peut faire entre les armoiries de la Finlande et celles de Carélie sont alors saisissantes. Les symboles sont importants, et la Russie s'y connaît en symboles. La Carélie est aujourd'hui une république faisant partie de la fédération de Russie. Ses armoiries sont très proches de celles qui sont présentes sur les timbres de la Carélie de 1922, à un ou deux détails près :
Blason de République de Carélie
Revenons à nos timbres de Carélie. Le seul bureau de poste connu à mettre en vente et oblitérer les timbres de Carélie est celui d'Uhtua, aujourd'hui Kalevala. Il fonctionne du 31 janvier au 5 ou 6 février 1922 puis est déplacé vers Suomussalmi. Les timbres oblitérés sont rares; ces exemplaires proviennent de la collection Alfred F Kugel. Ceux dont la date est identifiable sont datés du 3 février 1922. Les timbres postérieurs au 5 ou 6 février sont oblitérés par complaisance à Suomussalmi.

La correspondance est d'autant plus rare : 

Cette lettre, oblitérée au 5 février 1922, possède pour marque de transit le fameux "Suomussalmi" datée du 7 février avec cachet d'arrivée d'Helsinki probablement au 12 février. Remarquez la vignette nationaliste au verso, ainsi que le timbre "lion" finlandais de 1 mark :


Ce courrier a une évidente connotation philatélique. D'ailleurs, le timbre finlandais pose question : s'agit-il d'un geste symbolique pour accoler Carélie et Finlande, ou simplement d'un timbre pour payer à l'envelopper le droit de circuler (tarif intérieur supérieur à 20g)?
Il n'en reste pas moins vrai qu'il s'agit d'un témoignage historique exceptionnel.

Ces timbres ont bien évidemment été imités, et la plupart des faux provient d'Italie. Les articles sont nombreux sur le sujet, et plutôt bien faits. Je n'entrerai donc pas dans les détails. Voici juste pour rappel deux timbres, un vrai et un faux et des repères rapides :
vrai

faux
Pour les faux :
 les timbres sont mal centrés avec de fortes marges

→ sur les valeurs en penni, le troisième maillon de la chaine n'est pas fermé

→ Les aurores boréales sont mal faites et plus petites

→ Les détails de l'ours (langue et oeil) sont moins nets.

Voici un petit exercice pour vous entraîner si le coeur vous en dit ; ce lot contient timbres authentiques et contrefaçons :



N'hésitez pas à mettre un petit mot ; je vous répondrai.

dimanche 15 septembre 2024

Tridents d'Ukraine Podolie 8 (3c) : l'oblitération du 1R non dentelé

     J'ai reçu, il y a quelques jours, un lot de timbres d'une vente sur offre que j'avais remportée. Celle-ci comportait, entre autres, un timbre ordinaire de 1 rouble du Gouvernement Provisoire avec un trident d'Ukraine de type 8 au catalogue Bulat (3c pour Seichter).

     Ce qui m'a interpellé, et je n'y avais pas fait attention lors des enchères, c'est que l'oblitération était similaire au même timbre que je possédais déjà, sur une surcharge de type 8 identifiée uniquement sur deux timbres, le 3k rouge et le 1 rouble justement.

 

 

Ces timbres sont cotés 100$ sur le catalogue Bulat de 2001 (Bulat #1495) et 200 marks sur le Seichter Sonderkatalog de 1956. Ces éléments m'amènent à quelques commentaires et à formuler une hypothèse.

Tout d'abord cette oblitération "Piatakovo Pod" : j'ai eu pas mal de difficultés à identifier  la localité dont il est question. L'aide de ChatGPT et la logique veulent qu'il s'agisse d'un village dans l'oblast de Vinnitsa (Vinnytsia), Piatakiv. Ce 1 rouble devait avoir un usage pour mandat (mandat postal, formulaire de colis), ce que pourrait confirmer la date d'oblitération. Celle-ci, bien que difficilement lisible, devait être du 18 11 18 et serait donc conforme à l'usage précité. Néanmoins, sa qualité et son centrage laissent à penser qu'il s'agit d'une oblitération de complaisance, idée qui a ma préférence. 

Mais pourquoi une telle oblitération? Selon Roman Procyk, les cachets à main en bois auraient été fabriqués à Jmerynka (Zhmerynka), puis répartis dans les localités de Podolie qui en avaient besoin pour surcharger localement les timbres. Ces cachets en bois s'usaient plus ou moins vite, mais étaient remplacés, ce qui nous amène à cette surcharge de type 3c. Seichter, dans son catalogue, précise que ce 3c était initialement étiqueté 17d, probablement dans une catégorie un peu fourre-tout, faite de surcharges initialement difficilement identifiables. Le 3c (8) est-il un cachet de remplacement du 3b (6) auquel il ressemble? Quoiqu'il en soit, si Bulat cote ce timbre 175$ en neuf, Seichter ne le cote qu'oblitéré, et le note -.- en neuf (rare, la cotation dépendant de la somme que le collectionneur est prêt à mettre). Mon hypothèse est que seule une feuille de 50 timbres de 1 rouble a été surchargée et partiellement ou totalement - c'est une possibilité - oblitérée dans un petit bureau de poste qui en avait fait le demande. Il y a là un côté un peu mystérieux qui m'intrigue toujours...

J'aimerais que mes lecteurs m'apportent leurs commentaires éclairés s'ils ont des connaissances sur le sujet.