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samedi 27 janvier 2018

La guerre civile en Russie : une surcharge locale de Derbent, Daghestan

Occupé à l'étude des surcharges locales du Sud de la Russie et à la collecte et l'analyse des timbres de Batoum, je profite des billets précédents sur Petrovsk et Bakou pour glisser un petit mot sur une surcharge que j'ai trouvée il y a quelque temps lors d'une vente sur offres, chez Cherrystone si je me souviens bien.
Derbent est une ville située au sud du Daghestan, à mi-chemin entre Petrovsk (Makhatchkala) et Bakou. C'est une ville clef de la région, verrou entre la plaine du nord, Petrovsk et son chemin de fer, la mer Caspienne et les montagnes de sud. Si le Daghestan, en Perse, signifie "le royaume des montagnes", Derbent veut dire, quant à elle, "la clef de la porte" ou "la porte fermée" selon les interprétations. Cette ville magnifique est inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, notamment pour sa forteresse.
vue de la citadelle de Derbent

Portes Caspiennes

Musée des Portes

Revenons-en à la philatélie... mais n'est-elle pas aussi l'occasion de nous enrichir de l'histoire, d'aller à la rencontre d'autres peuples et d'autres géographies?
Le Daghestan est donc durant la première guerre mondiale une zone de conflits active, d'autant qu'à cette guerre s'ajoutent les dissensions religieuses voire tribales locales. La guerre civile russe n'arrange rien à l'affaire et comme nous l'avons vu dans le billet précédent, la politique régionale s'accommode d'arrangements qui feraient parfois pâlir le Kremlin.
Derbent est sous occupation des forces rouges à compter de février-mars 1920. Les autorités locales font alors surcharger les timbres tsaristes, dont je rappelle que les stocks étaient importants (dans son article, Kusovkine nous informe qu'ils ont été vendus en grand nombre à des négociants européens en notamment des français). La surcharge "Komitet" est ici violette et désigne sans doute le soviet officieux et le commissariat mis en place.
Le 20 janvier 1921, le Daghestan devient officiellement la République Socialiste Soviétique Autonome du Daghestan. Les timbres soviétiques s'imposeront alors. Il est amusant de noter que l'oblitération de cette bande de trois timbres est bien de Derbent et date du 18 janvier 1920. Une émission rare donc puisque très brève dans le temps.
Derbent a à nouveau été mise à l'honneur par la Russie, avec l'émission de ce timbre :
Cent ans après, cette ville revêt toujours de grands enjeux pour la Russie...


samedi 13 janvier 2018

La guerre civile en Russie : les surcharges fantastiques d'Azerbaïdjan

Alors que je rédigeais l'article précédent sur les surcharges locales de Petrovsk, je me suis souvenu du vieux fantasme qui m'avait animé quand j'étais plus jeune - c'était il y a quelques années - sur une émission de timbres rares, celle qui aurait eu lieu à Bakou lors de la brève occupation de la ville par les anglais. Qui ne rêverait pas de posséder une série que personne ne possède? Mais peut-être n'existe-t-elle tout simplement pas?
En décembre 1917, Grande-Bretagne et France s'étaient partagé leurs zones d'influence ; le sud de la Russie, et particulièrement le Caucase, avait échu aux Britanniques, qui y avaient vu des intérêts géostratégiques et économiques, notamment pétroliers. L'avancée turque liée à l'effondrement du front russe met alors en péril cette prétention.
De mai à septembre 1918, dans une alliance plus que surprenante, Britanniques, Arméniens, Russes bolchéviks et Cosaques anti-bolchéviks font front commun contre les Ottomans qui avancent en Azerbaidjan vers Bakou. Dans cette bataille, les Turcs finissent par l'emporter. En octobre 1918, les turcs, battus sur les autres fronts, doivent cependant se replier et les troupes anglaises occupent la ville jusqu'en août 1919.
Dans un vieux catalogue Yvert&Tellier de 1930, on trouve la présence d'une émission locale, en mai 1917, avec surcharge "occupation azerbaïdjan", qui disparaît ensuite puisque dans mon catalogue de 1973, je n'en trouve plus trace.On peut remarquer dans cette surcharge une curieuse orthographe d'Azerbaïdjan, qu'un très vieil mais intéressant article de Kusovkine extrait du "philatéliste soviétique" explique comme une orthographe latine. La cotation qu'en fait Yvert&Tellier est importante pour l'époque, et Kusovkine remarque immédiatement que les faux ont immédiatement fleuri notamment en provenance de Constantinople, lieu bien connu à l'époque pour ses faussaires... Cela me fait penser qu'il faudra qu'on parle un jour des surcharges de l'armée Wrangel...

J'ai retrouvé dans mes archives huit de ces dix-sept timbres référencés. Suis-je donc en possession d'un trésor? Hélas non. Comme le fait remarquer Kusovkine, jamais Bakou n'a connu de pareille émission -comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement? Les Britanniques n'avaient-ils donc rien d'autre à faire alors que les Ottomans avançaient vers la ville?

Il est amusant de noter que ces timbres possèdent tous différentes marques au dos, marques de propriétaires qui ont voulu par ces signes de possession s'approprier un peu de papier et beaucoup de rêve
Voici plus en détail deux de ces timbres surchargés :

S'agit-il de faux originaux et d'imitations de faux? Le débat fait sourire. Si l'on regarde la piètre qualité de la surcharge, la réponse s'impose d'elle-même. Mais quelle importance?
Ces timbres, même retirés des catalogues de cotation, font toujours rêver le collectionneur, comme en témoignent les lots vendus sur le net. Alors à quel prix acheter un peu de rêve? je vous laisse seuls juges...
La guerre civile en Russie a ainsi connu de nombreuses émissions de timbres surchargés, que l'on peut qualifier de "fantastiques" ou de "fantaisistes" qui ont répondu à une forte demande des collectionneurs. Le manque de contrôle des autorités - leur absence même parfois, l'abondance des stocks de l'empire et des marchands peu scrupuleux, tel fut le cocktail qui aboutit à ce type de surcharge dont les victimes furent avant tout les philatélistes. Aujourd'hui, on peut néanmoins considérer qu'elles font partie de l'histoire de la philatélie.

mardi 2 janvier 2018

La guerre civile en Russie : les surcharges locales de Petrovsk





Fondée en 1844, la ville est tout d'abord nommée Petrovskoïe, puis  Petrovsk en hommage à Pierre le Grand. Située dans l'actuel Daghestan, elle prend de nom de Makhatchkala en 1921 et devient la capitale de la République Socialiste Soviétique du Daghestan. Elle est le symbole des ambitions et de l'avancée russe dans le Caucase, comme le montre la carte ci-dessous.

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Elle constitue une des villes clés dans cette zone instable, à majorité musulmane (à l'exception notable des arméniens) sous gouvernance russe récente. Dès novembre 1914, la région se transforme en zone de guerre avec l'offensive russe contre les turcs. Un général russe s'illustre, qui marquera ensuite la guerre civile : Ioudenitch. Au cours du conflit, les différents peuples (arméniens, géorgiens, azéris, ...) se retrouvent partie prenante et sont impliqués d'une part ou d'autre, acteurs ou victimes. Durant l'année 1917, après la Révolution russe, l'armée se disloque ; fin 1917, elle n'existe plus. Elle est remplacée sur le front par des troupes arméniennes et géorgiennes qui subissent les attaques turques destinées à reprendre le contrôle des territoires perdus en 1914-1915 mais aussi lors de la guerre russo-turque de 1877-1878. Cette alliance entre arméniens, azéris et géorgiens forme l'éphémère Transcaucasie. En mai 1918, elle disparaît elle aussi, en raison de la déclaration d'indépendance de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan et de la Géorgie sous l'influence notable de l'Allemagne qui tente de faire de cette zone sa sphère d'influence, au détriment des anglais bien implantés de Batoum à Bakou. Les intérêts économiques et surtout pétroliers déterminent déjà les politiques extérieures des puissances occidentales.
Le 11 mai 1918, le Caucase du Nord se déclare ainsi indépendant et s'allie dès juin 18 avec les turcs. Cette république montagnarde est combattue d'emblée par les forces blanches du général Denikine qui emporte au Daghestan les villes comme Petrovsk ou Derbent, mais peine dans les montagnes où la résistance est forte. En février 1920, les troupes bolchéviques de la 5ème armée forcent Denikine à quitter la région.Staline, géorgien d'origine, négocie avec les nationalismes locaux : le Daghestan devient une république socialiste soviétique et une large autonomie est accordée à la nouvelle république soviétique des montagnes comprenant les autres régions (Ossétie, Ingouchie, Tchétchénie, ...).
La circulation du courrier et son affranchissement ont pâti de cette période mouvementée, d'autant que la région n'est pas épargnée par l'inflation galopante qui ronge la République Socialiste Fédérative des Soviets de Russie (RSFSR). 
Le 10 mars 1920, les timbres des séries courantes de 1909 à 1917 de 1 à 20 kopecks prennent une valeur en roubles.(valeur *100). La pénurie de timbres contraint donc la poste soviétique à l'emploi des stocks de timbres empire existants ; la gratuité du courrier avait cessé d'être et toute lettre d'un poids supérieur à 15 grammes coûtait 5 roubles plus 5 roubles pour un recommandé. Les postes locales avaient donc reçu pour consigne de réévaluer cent fois leur stock existant dans la limite des 20kopecks - 20 roubles. La poste de Petrovsk, disposant d'un stock conséquent de 35k, ne respecta pas les consignes du Commissariat aux Postes et au Télégraphe, les réévalua ainsi  que les 20k en leur apposant une surcharge en roubles en violet ou en noir. (Il faut noter que Ceresa qui est une des références en la matière, évoque dans son monumental ouvrage, partie C2 P381 la possibilité que ces timbres surchargés soient en fait des timbres trophées pris à Denikine)
Les timbres surchargés sont les suivants : 
- le 20k avec surcharge violette (expertise Ceresa)
Ce bel exemplaire oblitéré du 18 janvier 1921 est caractéristique de l'usage postal de ces surcharges ; les mandats postaux en sont un autre
Yvert et Tellier font également référence à une surcharge noire, que je ne possède pas.

- le 35k avec surcharge violette, expertise Dr. Paul Jemtschoujin

- le 35k avec surcharge noire, expertise Waldemar Pohl

Il est à noter, selon Ceresa, que ces timbres neufs ont été mis en circulation sur le marché philatélique par la Soviet Philatelic Association. Nous y reviendrons, notamment lorsqu'il s'agira de parler de l'armée Koltchak. Des contrefaçons existent sans nul doute.


L'inflation continue à être galopante et ,après la suppression de la gratuité pour les envois de moins de 15g, après une réévaluation mettant en service en roubles les timbres empire supérieurs à 20 kopecks,  le 15 avril 1922, les timbres en kopecks et en roubles sont réévalués 10000 roubles pour 1 rouble. Petrovsk produit alors une surcharge locale en violet avec cors de poste 50/T soit 50000 roubles pour un timbre empire de 5 roubles. Ce timbre, rare (il est coté 1300 euros par Y&T) a été bien sûr copié.
Voici l'original en rare bloc de 4 : 

L'exemplaire ci-dessous s'est vendu ce 30 décembre 2018 sur ebay 307 dollars. Quelqu'un le voulait plus que moi!
1922-Russia-PETROVSK-CV-350-handstamped-in-black-RARE-used

Le catalogue Petrov recense possiblement une surcharge inversée, inconnue chez Yvert :

 Le timbre contrefait de ma collection :
La comparaison entre les deux surcharges appelle ce commentaire : de la qualité de l'encre, de sa couleur même, de la forme des chiffres, des lettres ou de l'espacement du T, tout diffère. Reste à être attentif!