Translate

dimanche 18 septembre 2016

Armée du Nord : le prix de la discorde?

Il y a quelques semaines, j'ai assisté sur Facebook à un débat animé, et le mot est faible, à propos d'une enveloppe portant les cinq timbres de l'armée du Nord, durant la guerre civile. Cette discussion opposait un Russe, qui s'était procuré cette enveloppe, et un vendeur de timbres bien connu sur le net, A Farberov.
Voici cette enveloppe avec timbres de l'armée du Nord, oblitération ovale du chemin de fer de l'armée du nord ouest et cachet de Tallinn :

Le débat portait sur la valeur d'une telle enveloppe, rare et inestimable pour l'un et banale (voire surfaite) pour l'autre.
Qu'en est-il vraiment?
Tout d'abord, un peu d'histoire. Ce que nous appelons "Armée de Nord" (catalogue Yvert) est en réalité un corps franc, un corps de volontaires pour lutter contre la révolution bolchévique formé à Pskov (et dont il a pris en réalité le nom) par le capitaine V. G.Von Rosenberg et l'ancien gouverneur général A. K. Gershel'man. Ce corps de 6000 hommes environ est constitué pour moitié au moins d'anciens officiers fidèles au régime tsariste parfois libérés des camps de prisonniers et se retrouve armé par les forces allemandes présentes dans la région. Le général Vandam en prend le commandement en octobre 1918, puis le colonel Dzerozhinsky en janvier 1919 et enfin le major-général Rodzianko au 1er juin 1919, au moment où ce corps prend le nom d'armée du Nord et se retrouve intégré à l'armée du général Ioudenitch. Basé sur le territoire estonien en pleine guerre d'indépendance de ce pays, initialement associé à l'armée estonienne, ce corps est néanmoins pour l'essentiel opposé à l'indépendance du pays. Il subit donc les pressions du gouvernement estonien qui le contraint à revenir à des effectifs de l'ordre de 3000 hommes. Lors de l'offensive de mai 1919, ce corps connaît des succès certains avec la prise de plusieurs villes russes sur la frontière estonienne dont Pskov le 25 mais doit évacuer la région en août sous la pression des forces rouges bien supérieures en nombre et mieux organisées, sans avoir réussi à obtenir l'adhésion des populations.
Les timbres furent fabriqués à Tallinn en juin 1919 et portent symboliquement les emblèmes des régiments de ce corps d'armée avec l'annotation OKCA (initiales : corps d'armée du nord spécial). Chacun possède dans sa collection cette série de timbres faiblement cotée dans chacun des catalogues, 1 euro chez Yvert mais bien moins chez Lyapin (10c pour un neuf).
Les voici :
le 5k



le 10k

le 15k



le 20k



le 30k


Pour une série aussi peu cotée, il est à remarquer qu'elle fut incroyablement copiée et contrefaite, au point qu'il y a sans doute davantage de faux en circulation que de vrais. Ils se distinguent la plupart du temps de façon peut-être un peu simpliste par une grossièreté des textes et des symboles peu visibles, noyés sous l'encre. Les papiers sont de différentes qualités, même si Lyapine note qu'il existe des 20k et 50k en papier ordinaire, que je possède certes, mais pour lesquels j'ai quelques doutes quant à l'authenticité.
Voici quelques faux, je vous laisse le soin de les comparer aux originaux.

5k




10k


15k




20k


50k


Pour en revenir à notre enveloppe débat, l'intérêt de nos interlocuteurs ne portait pas tant sur la valeur des timbres, fort heureusement, mais sur l'affranchissement, l'oblitération et le destinataire. Si l'affranchissement est bien philatélique (je vous propose ci-dessous une enveloppe du même type sans destinataire...),

le destinataire est identique à d'autres enveloppes conçues à l'époque (et non postées comme le pseudo expéditeur ou faussaire) veut le faire croire. L'oblitération du chemin de fer de l'armée du Nord-ouest porte également à controverse. Si le mythique wagon de l'armée n'a jamais existé, Epstein dans Rossica nous rappelle que cette oblitération était utilisée en Estonie où siégeait le centre névralgique de l'armée, mais sans cours officiel puisque l'Estonie produisait ses propres timbres et n'en reconnaissait logiquement aucun autre. Une oblitération philatélique donc... les destinataires étant des marchands connus de timbres. Dans cette époque propice aux affaires philatéliques, d'innombrables enveloppes ont été produites, du même acabit. Je vous en propose ci-dessous quelques-unes :




Comme vous le voyez, si la guerre ravageait la Russie, certains y trouvaient leur compte! L'oblitération est ici un peu différente, mais il s'agit de l'oblitération la plus courante de ces timbres de l'armée du nord, celle de Molotovitsky, que Rossolovitch a bien décrite dans Rossica. Sans paraphraser cet excellent article, celui-ci nous rappelle que le cachet de cette petite gare, quartier général de l'armée du nord, a servi à oblitérer en masse les timbres, non pas lors de l'offensive en territoire russe, mais bien plus tard, avec des timbres bien souvent anti-datés.

Bref, il n'y a pas grand chose de postal dans toutes ces enveloppes, d'historique peut-être, de philatélique sans aucun doute. Mais quel prix leur accorder? J'ai payé la mienne 25$ port compris. Je pense qu'il s'agit de la somme maximale à mettre dans ce type d'enveloppe. J'ai vu récemment une enveloppe du même type se négocier dans une vente sur offre aux alentours de 50 euros. Elle était certes signée de Mikulski, mais cela fait cher la signature de ce grand expert!

Raritan a proposé ce type d'enveloppe au prix de 65 dollars lors de sa vente de décembre 2016. Celle-ci n'a pas trouvé preneur!


jeudi 28 juillet 2016

Quand les timbres nous racontent l'histoire : la famine (2ème partie)

L'enveloppe avec affranchissement philatélique de Mickael Kiss recèle une deuxième émission de timbres de charité : 
En janvier 1922, alors que la famine se poursuit toujours aussi sévèrement, une nouvelle émission est donc décidée afin de venir en aide aux populations de la Volga. Les timbres de novembre 1922 prennent une surcharge typographiée "RSFSR Aux affamés" avec surcharge en roubles 100r + 100r ou 250r + 250r avec différentes couleurs de surcharge.Chacun connaît ces timbres, mais je vous les rappelle sommairement :
- surcharge bleue sur 70k (Zagorsky 22) :
Rien de spécial dans ces timbres, si ce n'est que je vous les présente dans un ordre de dégradation de la perforation. N'oublions pas que la période est troublée et que les machines à perforer sont pour la plupart en panne, ce qui avait donné l'émission non dentelée sous le gouvernement provisoire (émission de mars 1917). On peut estimer, me semble-t-il, que le dernier timbre, à droite, a été perforé localement.
- surcharge noire sur 70k (23) :

Une variété célèbre et très recherchée comporte un déplacement du p dû à une inversion au niveau de la matrice d'impression :

Notez la qualité de l'impression typographiée et de l'encre. Les faux sont nombreux ; pour cette rareté, mieux vaut passer par une maison de vente sur offres ayant pignon sur rue, comme Raritan comme ici ou encore Cherrystone.

- surcharge rouge carmin sur 70k (24) :
- surcharge noire sur 35k (25) :
- surcharge rouge sur 35k (26) :

- surcharge jaune- orange sur 35k (27) :

Il existe finalement assez peu de variétés, quelques surcharges inversées, ou déplacées, des impressions doubles ou miroir mais en tout cas suffisamment pour que les faussaires s'en donnent à coeur joie. Attention donc, même si ces surcharges sont fantaisistes, car il existe toujours malheureusement des acheteurs sur ebay ou delcampe.
Voici quelques exemples piochés sur ebay :





Les points communs de ces surcharges sont avant tout la mauvaise qualité de l'encre utilisée et bien souvent la mauvaise disposition de la surcharge. Celle-ci est souvent d'une couleur approchant l'original, mais la différence est nettement visible à l'oeil nu.  Ces surcharges sont modernes et souvent numériques ; il est donc difficile de les distinguer des surcharges originales dans des erreurs faites par les faussaires, mais même si elles sont typographiées, l'exemple ci-dessus montre que cette typographie semble faite au burin! Elle proviennent toutes de Russie, mais leur dispersion pose problème et il n'y a pas de doute que nous les verrons ressurgir tôt ou tard.

Il y a enfin sur l'enveloppe analysée la fameuse série dite de Rostov.

  

 Cette série de charité semi-postale, destinée à venir en aide aux affamés, est en date du 19 avril 1922. Le commissariat aux finances du sud-est de la RSFSR autorise ainsi une émission pour récolter des fonds, mais sans l'aval du Commissariat aux postes et télégraphes. Très peu de feuilles furent imprimées ; on considère qu'il y en eut moins de 1000. Celles-ci comportaient deux tiers gauche imprimés en vert et un tiers droit imprimé en rouge, sur papier blanc, soit un total de 133 timbres par feuille. Ils ont été distribués dans quelques villes du Sud est de la Russie, dans la région du Don, puis très rapidement retirés de la circulation dès le 2 mai à l'initiative du Commissariat aux postes et aux télégraphes. Ces timbres ont donc été émis en faible quantité et leur période de circulation a été très brève. Il est donc très rare que ces timbres soient oblitérés... Le petit nombre de timbres émis et la forte demande ont entraîné une forte émission de faux, datant pour la plupart d'entre eux de 1923-24 (Allemagne) et pour partie d'URSS dans les années 60. Je vous propose de faire une petite comparaison en vrais et faux les plus courants :
- 2000 r vert :


 Ce qui frappe d'emblée, c'est la différence de couleur, d'impression et de qualité de papier, même si le faux que je vous montre ici est quelque peu extrême. On note par ailleurs des différences qui se retrouvent dans bon nombre de faux :
L'absence de cassure sur la A.


L'absence de certains points dans le timbre.Voilà d'ailleurs un autre faux, sur papier de meilleure qualité. cherchez l'erreur!
Compliquons un peu la chose : voici un autre faux, plus difficile à identifier. Qui saura en donner les caractéristiques???
On trouve parfois des raretés, comme cet exemplaire en vente actuellement chez Cherrystone :

- 2000 r rose :
Les remarques faites pour le 200r vert sont ici semblables ou presque. On note (c'est à nouveau un cas extrême) la différence de papier en terme de couleur et de qualité. L'original est fait sur un papier blanc et doux, la copie sur un papier de mauvaise qualité avec une forte composante de fibres de bois.
On trouve aussi des constantes :
- une tache à la place de traits sur la veste du paysan :

- on note sur de nombreux exemplaires l'absence de certains points, des lignes d'encadrement interrompues et d'épaisseur aléatoire, des taches à la place des yeux ou encore l'écriture très maladroite de la ligne du dessous.
Voici un autre faux de meilleure qualité. A vous de jouer!
Compliquons un peu les choses. Voici un timbre intéressant, oblitéré qui plus est. Le timbre est-il vrai? L'oblitération? Ou les deux sont-ils malheureusement faux?
On trouve pour les quatre exemplaires des raretés qui valent la peine d'être recherchées ; attention de bien passer par des maisons de confiance.

Voici donc deux superbes exemplaires certifiés imprimés sur du papier cigarette.

- 4000r rose :

Vous constaterez à nouveau les mêmes éléments concernant la qualité de papier.
On note par ailleurs :
- la ligne discontinue de points sur le bras pour le faux :

- on peut également trouver les traditionnelles absences de points, le T de droite touchant le cercle, les lignes discontinues ou plus ou moins épaisses de l'encadrement...
Voici un autre exemplaire dont vous trouverez facilement les caractéristiques :
Voyons si vous avez compris. Le timbre suivant est-il vrai ou faux?

-6000r vert :
Après les trois premiers timbres, je crois que vous identifierez rapidement les principales caractéristiques des l'original et de la copie. Attention tout particulièrement au sol, aux bottes et au panier. Voici un autre exemple de faux pêché sur Delcampe :
On trouve parfois des timbres de cette série vendus en format réduit. Il ne s'agit pas d'une émission originale, encore moins d'essais, forme sous laquelle ils sont souvent présentés! Cette série est en réalité une réimpression datant de 1933, série cadeau jointe au catalogue des timbres russes...
Je n'en ai trouvé que cet exemplaire contrefait :

Il me semble avoir fait le tour de cette fameuse enveloppe. Enfin presque. Reste la question que l'on peut légitimement se poser, mais à laquelle mon statut d'humble collectionneur ne me permet pas de vraiment de répondre : Cette enveloppe est-elle authentique?
Un excellent article de la revue Rossica écrit par Rimma Sklarewski apporte quelques éléments de réponse :
- les villes dans lesquelles cette série a été distribuée n'ont jamais eu les quatre exemplaires - ils ne peuvent donc pas être ensemble sur la même enveloppe
- le tarif postal pour un recommandé ne correspond pas (2000r)

Il s'agit donc probablement d'un affranchissement philatélique, ce qui n'ôte rien à cette enveloppe. On trouve d'ailleurs d'autre exemplaires de ce type, comme l'enveloppe suivante :