Accéder au contenu principal

Armée du Nord : le prix de la discorde?

Il y a quelques semaines, j'ai assisté sur Facebook à un débat animé, et le mot est faible, à propos d'une enveloppe portant les cinq timbres de l'armée du Nord, durant la guerre civile. Cette discussion opposait un Russe, qui s'était procuré cette enveloppe, et un vendeur de timbres bien connu sur le net, A Farberov.
Voici cette enveloppe avec timbres de l'armée du Nord, oblitération ovale du chemin de fer de l'armée du nord ouest et cachet de Tallinn :

Le débat portait sur la valeur d'une telle enveloppe, rare et inestimable pour l'un et banale (voire surfaite) pour l'autre.
Qu'en est-il vraiment?
Tout d'abord, un peu d'histoire. Ce que nous appelons "Armée de Nord" (catalogue Yvert) est en réalité un corps franc, un corps de volontaires pour lutter contre la révolution bolchévique formé à Pskov (et dont il a pris en réalité le nom) par le capitaine V. G.Von Rosenberg et l'ancien gouverneur général A. K. Gershel'man. Ce corps de 6000 hommes environ est constitué pour moitié au moins d'anciens officiers fidèles au régime tsariste parfois libérés des camps de prisonniers et se retrouve armé par les forces allemandes présentes dans la région. Le général Vandam en prend le commandement en octobre 1918, puis le colonel Dzerozhinsky en janvier 1919 et enfin le major-général Rodzianko au 1er juin 1919, au moment où ce corps prend le nom d'armée du Nord et se retrouve intégré à l'armée du général Ioudenitch. Basé sur le territoire estonien en pleine guerre d'indépendance de ce pays, initialement associé à l'armée estonienne, ce corps est néanmoins pour l'essentiel opposé à l'indépendance du pays. Il subit donc les pressions du gouvernement estonien qui le contraint à revenir à des effectifs de l'ordre de 3000 hommes. Lors de l'offensive de mai 1919, ce corps connaît des succès certains avec la prise de plusieurs villes russes sur la frontière estonienne dont Pskov le 25 mais doit évacuer la région en août sous la pression des forces rouges bien supérieures en nombre et mieux organisées, sans avoir réussi à obtenir l'adhésion des populations.
Les timbres furent fabriqués à Tallinn en juin 1919 et portent symboliquement les emblèmes des régiments de ce corps d'armée avec l'annotation OKCA (initiales : corps d'armée du nord spécial). Chacun possède dans sa collection cette série de timbres faiblement cotée dans chacun des catalogues, 1 euro chez Yvert mais bien moins chez Lyapin (10c pour un neuf).
Les voici :
le 5k



le 10k

le 15k



le 20k



le 30k


Pour une série aussi peu cotée, il est à remarquer qu'elle fut incroyablement copiée et contrefaite, au point qu'il y a sans doute davantage de faux en circulation que de vrais. Ils se distinguent la plupart du temps de façon peut-être un peu simpliste par une grossièreté des textes et des symboles peu visibles, noyés sous l'encre. Les papiers sont de différentes qualités, même si Lyapine note qu'il existe des 20k et 50k en papier ordinaire, que je possède certes, mais pour lesquels j'ai quelques doutes quant à l'authenticité.
Voici quelques faux, je vous laisse le soin de les comparer aux originaux.

5k




10k


15k




20k


50k


Pour en revenir à notre enveloppe débat, l'intérêt de nos interlocuteurs ne portait pas tant sur la valeur des timbres, fort heureusement, mais sur l'affranchissement, l'oblitération et le destinataire. Si l'affranchissement est bien philatélique (je vous propose ci-dessous une enveloppe du même type sans destinataire...),

le destinataire est identique à d'autres enveloppes conçues à l'époque (et non postées comme le pseudo expéditeur ou faussaire) veut le faire croire. L'oblitération du chemin de fer de l'armée du Nord-ouest porte également à controverse. Si le mythique wagon de l'armée n'a jamais existé, Epstein dans Rossica nous rappelle que cette oblitération était utilisée en Estonie où siégeait le centre névralgique de l'armée, mais sans cours officiel puisque l'Estonie produisait ses propres timbres et n'en reconnaissait logiquement aucun autre. Une oblitération philatélique donc... les destinataires étant des marchands connus de timbres. Dans cette époque propice aux affaires philatéliques, d'innombrables enveloppes ont été produites, du même acabit. Je vous en propose ci-dessous quelques-unes :




Comme vous le voyez, si la guerre ravageait la Russie, certains y trouvaient leur compte! L'oblitération est ici un peu différente, mais il s'agit de l'oblitération la plus courante de ces timbres de l'armée du nord, celle de Molotovitsky, que Rossolovitch a bien décrite dans Rossica. Sans paraphraser cet excellent article, celui-ci nous rappelle que le cachet de cette petite gare, quartier général de l'armée du nord, a servi à oblitérer en masse les timbres, non pas lors de l'offensive en territoire russe, mais bien plus tard, avec des timbres bien souvent anti-datés.

Bref, il n'y a pas grand chose de postal dans toutes ces enveloppes, d'historique peut-être, de philatélique sans aucun doute. Mais quel prix leur accorder? J'ai payé la mienne 25$ port compris. Je pense qu'il s'agit de la somme maximale à mettre dans ce type d'enveloppe. J'ai vu récemment une enveloppe du même type se négocier dans une vente sur offre aux alentours de 50 euros. Elle était certes signée de Mikulski, mais cela fait cher la signature de ce grand expert!

Raritan a proposé ce type d'enveloppe au prix de 65 dollars lors de sa vente de décembre 2016. Celle-ci n'a pas trouvé preneur!


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le 7 Roubles de 1884 : un timbre sujet à controverses

Evoquer les timbres classiques, c'est se plonger dans une Russie très différente de ma période de prédilection. C'est néanmoins une époque passionnante, avec une Russie en pleine transformation économique et sociale. En 1874, la Russie rejoint l'Union Postale Universelle et adopte des tarifs postaux en cohérence avec cette adhésion (de 10 à 8 kopecks en juin 1875, puis de 8 à 7 kopecks en mars 1879 pour une lettre).  Au niveau politique, Alexandre II est assassiné en mars 1881, et Alexandre III, son fils, prend le pouvoir. En décembre 1883 est émise une nouvelle série de timbres, tous en kopecks, sur papier avec filigrane et vergé horizontalement,  le 1 kopeck le 2 kopecks le 3 kopecks  le 5 kopecks le 7 kopecks le 14 kopecks le 35 kopecks le 70 kopecks puis en janvier 1884, cette émission est complétée pour la première fois par de fortes valeurs en roubles, le 3.5 roubles et le 7 roubles, sur papier avec fi...

Premier vol postal Moscou - Téhéran : vol au dessus d'un nid de coucou

J'ai récemment remis en ordre l'année 1924 de ma collection et je me suis intéressé à une enveloppe de poste aérienne qui m'avait interpellé il y a quelques années. Etonnante enveloppe en effet. Dactylographiée "Premier vol postal Moscou - Téhéran" à l'attention de Monsieur Jaroljmek. Les courriers avec affranchissement de la poste aérienne sont très courus, et ma première réaction à la vue de cette enveloppe a été de pressentir une tricherie quelconque. Tout dans cette enveloppe est suspect : l'absence d'adresse pour le destinataire, un affranchissement à 35 kopecks, alors qu'on attendrait plutôt 40 kopecks me semble-t-il? (tarifs du 1 septembre 1924). Les dates de départ et d'arrivée sont d'ailleurs surprenantes : 30 / 10 / 24 au départ et 14 / 12 / 24 à l'arrivée, soit 46 jours pour faire environ 3000km... alors 46-24=1104 heures... soit un peu moins de 3km par heure! j'irais plus vite à pied! Trêve de pla...

la guerre civile en Russie : les timbres surchargés de Vladivostok (4ème partie : les timbres dentelés de dix à cinquante kopecks)

Je vous propose de poursuivre cette analyse qui, décidément, me prendra beaucoup de temps! Venons-en à des timbres en kopecks de valeur plus élevée non surchargés d'une nouvelle valeur. Commençons par ce qui représente pour moi le noeud du problème, c'est-à-dire le timbre qui me semble être le plus rare de la série, le 10 kopecks bleu foncé. Je ne possède pas ce timbre, et en quelques années de recherche, je n'en ai pour le moment pas vu d'authentique, contrairement au 1 rouble dentelé. Cette rareté est due à deux faits : d'une part le nombre modeste de surcharges apposées (600) et d'autre part le fait que 10k correspondait à un affranchissement courant, contrairement au 1R. Les timbres ont été très vite épuisés et de nouvelles surcharges ont été nécessaires notamment le 7k sur 15k (près de 400000 exemplaires), le 1k et le 2k sur timbres d'épargne, le 3k sur 35k, le 4k sur 70k et enfin le 10k sur 3.5 roubles (près de 100000 exemplaires). Inutile de dire...