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Une émouvante enveloppe à destination d'Arkhangelsk

     Port et capitale administrative du nord de la Russie, Arkhangelsk est prise dans les glaces lors de la longue et sombre période hivernale ; mais la ville modeste n'en constitue pas moins un enjeu crucial lorsque débute la première guerre mondiale. Malgré son immensité, la Russie souffre en effet d'une faiblesse bien identifiée depuis sa naissance, et à laquelle les Tsars successifs ont tenté de remédier, c'est-à-dire l'absence de ports libres de glaces et de contrôle étranger.

    Lorsque débute la Première Guerre mondiale, la Mer Noire - et donc Sébastopol - se ferment lorsque l'Empire Turc entre dans le conflit. Vladivostok est bien trop loin pour pouvoir approvisionner le front russe en armes avec le seul Transsibérien, et les Etats-Unis sont encore neutres. Seule la Russie du nord constitue donc une alternative crédible. Afin de détenir un port enfin de libre de glaces, Romanov-sur-le-Murman (Port Romanov) sera créée en septembre 1916, devenant Mourmansk en 1917, mais Arkhangelsk assurera l'essentiel de l'approvisionnement en matériel de l'armée impériale russe par les deux autres membres de la Triple Entente, la France et la Grande-Bretagne. 

    Le  25 octobre 1917, les bolchéviks prennent le pouvoir à Petrograd, puis dans les principales villes russes. Le soviet d'Arkhangelsk se déclare très vite favorable au nouveau gouvernement. Par ailleurs, la Finlande se déclare indépendante le 6 décembre 1917 ; et, afin de vaincre les Rouges, le gouvernement blanc fait appel aux Allemands du général Van der Goltz qui débarquent à Helsinfors (Helsinki) en avril 1918. Ces éléments font peser une double menace sur les alliés, d'autant qu'il reste alors à Arkhangelsk une quantité considérable d'armement, évaluée à des centaines de milliers de fusils, des milliers de mitrailleuses, des dizaines de canons et des millions de cartouches... soit seize millions de tonnes de matériel. Pour éviter que cet arsenal ne tombe entre des mains hostiles, une force navale se porte vers Akhangelsk le 2 août 1918. Après de brefs accrochages, la ville est prise. 

    Cependant, le manque d'effectifs, la perméabilité des soldats à la propagande bolchévique, la dureté de la vie aux abords de la Dvina font que les combats durant la fin 1918 et 1919 demeureront épisodiques, bien que violents. 

    C'est à ce moment qu'intervient l'enveloppe dont il est question dans cet article. 

 


 

 


Cette enveloppe est adressée à un certain W.S. Roberts, soldat matricule 97669, R(oyal) A(rmy) M(edical) C(orps), 55th Stat(ionary) Hospital, care of 85th General H(os)p(ital), Elope, North Russian Exp(edition) Force. Ce denier terme désignait le nom de code de l'opération visant le secteur Dvina/Vologda autour d'Arkhangelsk. Le soldat était donc affecté à un service de soins, peut-être un brancardier.
L'enveloppe a été affranchie à un penny, tarif pour une lettre intérieure à la Grande-Bretagne, mais qui correspond ici probablement à un tarif réduit pour les familles de militaires. Elle est en effet partie de Balham, quartier de Londres, le 27 février 1919, 

puis a été prise en charge par la poste et acheminée par la poste militaire, via la marine vers Arkhangelsk. 
Le courrier est arrivé le 3(0) mars 19, selon l'oblitération du dessous, il est vrai un peu difficile à lire. La lettre a été probablement censurée le même jour par la censure militaire n°15
Il a été aussitôt réexpédié le 1er avril 19 vers son destinataire, toujours par la P(ostal) B(ranch) 2 en activité à Arkhangelsk. Il ne trouve pas son destinataire. La personne qui a envoyé la lettre, sous le coup de l'émotion peut-être, s'est tout d'abord trompée en l'envoyant au 55 Stat Hp alors que c'est le 53 Stat Hp qui fonctionne à Solombala, quartier portuaire d'Arkhangelsk, mais, malgré tout, le soldat n'est pas à cet endroit au 7 avril 19.

Après de probables recherches, le soldat est localisé le 8 avril 19 à Obozerskaya :

Le courrier est donc aussitôt réexpédié le 8 avril 19 par la PB2,

et arrive le 9 avril à la P(ostal) B(ranch) 66, située elle-même à Obozerskaya, noeud ferroviaire vital qui constitue un poste avancé pour les alliés.

La carte suivante, que H Vaudable exploite dans son Intervention alliée en Russie du Nord, explicite un peu mieux la répartition des effectifs des différentes forces, dont bien sûr les forces anglaises. Vous remarquerez la faiblesse des effectifs.

Quoi qu'il en soit, à nouveau, le Field Post Office du détachement avancé d'Elope ne trouve à nouveau pas son destinataire. Le soldat est en effet porté disparu le 17 avril 19, toujours au bleu par le FPO :

Vous noterez tout de suite que le missing est barré. Il est en effet indiqué en bas de la lettre que le soldat a été tué à l'ennemi le 17 avril 19, et avec enregistrement le 22.

Le courrier est retourné à l'expéditeur, ce dont témoignent le rectangle en noir et l'indication portée au recto et au verso, deux caractéristiques de la prise en charge administrative des courriers destinés à des soldats morts ou postés disparus.



Walter Stanley Roberts n'a donc jamais reçu cette lettre. Il s'agissait d'un courrier de la femme qu'il avait épousée en 1915, Elsie Brundett, et que vous voyez là tel qu'il lui fut retourné. Elle avait 26 ans lorsqu'elle fut veuve, lui 30 à son décès. Il était instituteur à Buxton et son nom est gravé sur le mur du Mémorial d'Arkhangelsk, sans que son corps ait jamais été récupéré.









 

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