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dimanche 14 juillet 2024

3R avec perforation 10 de 1924 vendu sur Ebay : bonne ou mauvaise affaire?

     Ce 10 juillet s'est vendu sur Ebay un timbre intéressant, un timbre d'usage courant de 1924, un "Gold standard" ou "étalon-or" de 3 roubles. Il s'agit d'une très rare variété avec perforation 10 d'un timbre beaucoup plus courant perforé 13¼*13½.

      Voici le résultat de cette vente ; j'y reviendrai.



    Mais tout d'abord, un peu d'histoire, et d'économie...

    L'inflation durant la guerre 1914-1917, puis la guerre civile qui s'ensuit, ruine le pays et conduit à la famine les quelque 142 millions de sujets du Tsar en 1914 (dernière statistique à peu près fiable avant un long moment). Avec la perte d'autorité du gouvernement central, avec une inflation galopant, la valeur du rouble s'érode rapidement :

1 rouble 1913 = 2400 roubles 1920 = 17000 roubles 1921 = 290000 roubles 1922

    Devant la défiance des russes envers le rouble papier - rappelons que seule la confiance envers un état permet de faire fonctionner l'économie sur une valeur, une monnaie d'échange qui n'est que du papier - le gouvernement soviétique décide de façon pragmatique d'adosser la monnaie à l'or, comme c'était le cas avant 1914. Le pays, riche en ressources dont de l'or, émet en 1924 des billets (1 rouble or équivaut à 50000 roubles 1923) et même des pièces, des червонец (10 roubles or). L'inflation est peu à peu maîtrisée, et l'étalon-or sera supprimé en 1932. L'état émet aussi des timbres en valeur de kopecks-or et roubles-or dès octobre 1923, РУБ. ЗОЛОТОМ comme indiqué sur le timbre qui nous intéresse. Revenons donc à ce timbre


    Ainsi que vous avez dû le lire, le vendeur le vend tel quel ("As is") et j'ai déjà dit dans un précédent article ce que je pensais de cette appellation. La vente s'est faite pour 316$ soit un peu plus de 2% du prix catalogue pour un timbre MNH (**). Mon vieux catalogue spécialisé de 1999 le cotait 2000$ ; le Zagorsky de 2011 9700$, aujourd'hui 13500. Quelle inflation! Bien pire qu'en 1922, mais discuter des cotes des catalogues est un tout autre sujet. Alors, est-ce une bonne ou une mauvaise affaire? Vous connaissez déjà la réponse, mais voyons tout de même cela.

    Il s'agit de la troisième émission de "Gold standard", datée de février - mars 1924, typographiée, sur papier fibreux, sans filigrane ; mais, en l'occurrence, ce timbre en particulier fut émis en mai 1924, probablement à des fins philatéliques mais ce n'est qu'une hypothèse. L'artiste, auteur des dessins des différents timbres de cette série (ouvrier, paysan et soldat)L, fut Ivan Chadr (article Wikipedia en anglais). Cet exemplaire est légèrement excentré, mais bien de type I comme attendu.

 


     Je possède plusieurs exemplaires de ce 3 roubles, mais tous oblitérés. 

    La qualité n'est pas idéale pour effectuer une comparaison. Préférons plutôt jauger l'exemplaire dentelé 10 avec un simple exemplaire dentelé 13¼*13½. Il s'agit finalement du même timbre, de la même émission.
A gauche, toujours le timbre discuté :


     A première vue, et même s'il est toujours nécessaire de se méfier des scans, le papier semble différent. Mais sans microscope, ça ne peut être suffisant. De façon générale, le dessin est plutôt bien respecté et l'impression donnée semble la bonne. Voyons alors cela de plus près, car c'est toujours dans le détail que se cache le Diable.

   

→ le cadre :



On voit clairement ici que le cadre n'est pas régulier. Le Goznak, l'imprimerie sécurisée soviétique, ne laissait pas passer d'erreurs ou d'imperfections. Les timbres étaient systématiquement annulés en rouge ou noir (ЗАБРАКОВАНО), ou par le biais d'une perforation d'annulation. 

 → le soldat :

 

    La supercherie se dévoile entièrement, avec un dessin dont les lignes représentent finalement grossièrement les détails du personnage.

     Répondons maintenant à la question que je m'étais posée dès le début. C'est bien évidemment une très mauvaise affaire, et un peu de recul aurait permis d'éviter de dépenser 316$ pour une contrefaçon.

 

 


 

mardi 2 juillet 2024

Mai 1919 : l’avancée des Blancs (et du courrier postal…) vers Kharkov

 

Devant l’immensité du territoire russe, pendant la guerre civile, les offensives et les replis se font essentiellement autour des grandes voies de communication, c’est-à-dire des chemins de fer.

Si la guerre qui a fait rage autour du Transsibérien est connue de tous, d’autres offensives se font au Nord, mais aussi plus au Sud, en usant d’une arme bien adaptée à ce type de guerre, qui a fait de sa réputation au combat une légende : le train blindé.

Depuis le 19 janvier 1919, Kislovodsk est aux mains des Blancs. La lettre suivante, datée du 23 mai 1919 et postée le 24 (cachet de Kislovodsk Tersk) est adressée à un officier blanc, le lieutenant Klokachev D. M. de l’armée des Volontaires.




L’intérêt de cette lettre ne réside pas tant dans son affranchissement conforme au tarif en vigueur (10 timbres de 1k du gouvernement provisoire + un timbre de Kouban de 25k sur 1k)

 


 que dans la destination : le bureau de poste militaire n°2, train blindé Prince Pozharsky. (ou Pojarski : merci Jean)

 

Celui-ci avance en direction Kharkov qui sera prise lors de l’offensive de juin 1919. Il y deux cachets d’arrivée : d'abord celui du bureau de poste militaire n°3 en date du 26 mai1919

 


et celui du bureau de poste militaire n°2 du 27, seul cachet connu de ce bureau. 


 

Il comporte également un courrier complet dont je vous mets en copie la première des quatre pages.


 

Le train blindé Prince Pozharsky (armé serait plus juste, la légende en prend un coup) équipé de trois canons et d’une mitrailleuse sera finalement perdu lors de la retraite des Blancs le 29 janvier 1920 en gare de Tiraspol.

 

Train blindé Prince Pojarski
D'autres trains blindés se sont illustrés lors de cette guerre civile, le plus célèbre étant sans conteste celui de Trotski, qui faillit être capturé lors de la prise de Tsaritsyne par les Blancs.

 

mercredi 26 juin 2024

"Titans des cieux" : le magazine philatélique de la maison de vente sur offres Heinrich Köhler

     J'ai reçu cette semaine le magazine de la maison de vente sur offres Heinrich Kôhler, titré "Titans des cieux", dont voici la première de couverture ainsi que la page 3 :

 

    Si ce magazine possède une indiscutable dimension commerciale, puisqu'une part entière de la prochaine vente sur offres de Heinrich Köhler sera consacrée aux Zeppelins, on ne peut que reconnaître que ces pages consacrées au progrès technique et à l'évolution vertigineuse de la poste aérienne sont de bon aloi. 
    Si l'article traite essentiellement de Ferdinand von Zeppelin et des dirigeables allemands qui lui sont associés, sous le prisme philatélique, mon objectif est ici de rappeler la compétition entre  l'Allemagne et l'URSS qui conduisit ce pays à développer son programme de dirigeables.
    La relation entre les deux pays repose tout à la fois sur l'attrait et le rejet, dualité qui existait déjà sous l'empire des Tsars - rappelons que la Russie et l'Allemagne étaient frontaliers - mais qui s'est exacerbée avec l'arrivée au pouvoir des Bolcheviks  - Lénine ne disait-il pas toute son admiration pour l'organisation du travail dans le Reich de Guillaume II, mais aussi que la Révolution bolchévique passerait nécessairement par l'Allemagne avant de se répandre dans le monde entier - et qui s'est enfin affirmée dans la relation Staline-Hitler. 
     Les zeppelins allemands accélèrent le mouvement, accélèrent le temps puisqu'il ne faut plus que deux jours environ (un peu plus à l'aller) pour aller d'Allemagne aux USA. Le 11 septembre 1930, le Graf Zeppelin passe par Moscou, avec l'aval préalable de Staline. Le succès populaire est immense. Le premier véritable dirigeable soviétique, le Комсомольская Правда, prend son envol à peu près au même moment. Les soviétiques ont donc du retard, car ils partent de loin ; l'aviation russe n'existait en effet quasi pas avant la révolution. 
    Le rôle des dirigeables n'est pas seulement de transporter des passagers, mais aussi du courrier, comme en témoignent ces enveloppes éminemment philatéliques, vendues par Cherrystone lors de ses enchères de juin 2008, et qui montrent la paradoxale étroitesse des liens entre URSS et Allemagne :
Courrier porté par le Graf Zeppelin du 23 9 1930

Courrier porté par le Graf Zeppelin du 10 10 33

    Dans cet exemple, ces étroites relations se retrouvent dans l'affranchissement mixte URSS - Allemagne

    Enfin, si les dirigeables sont un symbole de puissance, il sont aussi un outil de propagande, dont le NSDAP fera grand usage à compter de l'arrivée au pouvoir des nazis. Staline ne s'en laisse pas compter, et les années 1930-1931 verront l'émission de plusieurs séries glorifiant les dirigeables, portant la propagande soviétique :

→ En septembre 1930, une première série est émise afin de faire avancer les objectifs du premier plan quinquennal (1928-1933). Cette série, dessinée par l'artiste B. Kostanyitsin, met en scène un ouvrier, portant le 4 (de quatre ans), suivi de l'industrialisation qu'il a mise en place, dont le dirigeable est un des piliers de la modernité.
 

→ En mai-juin 1931, une deuxième série de cinq timbres est émise, dont l'objectif est de mettre en valeur les dirigeables soviétiques, de leur création à la conquête du monde. Staline a en effet bien vu la puissance de propagande que recelaient ces géants des airs, et s'en sert afin de valoriser les réussites soviétiques :

Du désert de sable au désert de glace (artiste N Alekseev)

Au dessus du barrage hydro-électrique sur le Diepr - le fameux barrage de Khakovka (artiste A Volkov)

Au-dessus du Kremlin (artiste I Dubasov)


Autour du monde (artiste V Zavyalov)

Construction d'un dirigeable (artiste F Slutski)

→ Les allemands envisagent très tôt un voyage en arctique, qui se déroulera dans le semaine du 24 au 31 juillet 1931, comprenant une rencontre entre le Graf Zeppelin et un brise-glaces russe, le Malygin, avec échange de courriers postaux. La poste soviétique immortalise ce moment avec une nouvelle série de timbres de juillet 1931

 



  Ces tirages donneront lieu à quelques raretés, comme celles-ci, extraits de la vente Cherrystone de 2008 :

paire vendue 10000$

bloc vendu 21000$


   Comme l'histoire l'a montré, les relations entre l'Allemagne nazie et l'URSS, sur ce sujet symbolique comme sur d'autres bien plus importants,  atteindront leur apogée lors du pacte Molotov-Ribbentrop, avant de nettement se refroidir...

    Pour en revenir au magazine philatélique d'Heinrich Köhler, celui-ci présente d'autres sujets passionnants, dont celui de Memel qui m'intéresse beaucoup, mais c'est une autre histoire. Ces magazines, autrefois courants, se font aujourd'hui rares ; c'est dommage.


 
 
 
 

dimanche 16 juin 2024

Vol Moscou-San Francisco : cessez de planer...

     Je n'écris quasi jamais sur les années 30, et je m'intéresse assez peu à ces années et à celles qui suivent, ce qui ne m'empêche pas de suivre les ventes sur les sites de vente en ligne comme ebay ou les sites des ventes sur offres.

    Les achats sur ebay, c'est comme dans une grande braderie, on y trouve de tout, mais surtout du n'importe quoi.

    Hier, le 15 juin 2024 s'est vendu un lot intéressant à plus d'un titre.



    Le lot a été acheté 371$, une somme à la fois importante, et paradoxalement faible pour un lot dont la valeur devrait avoisiner à minima les 1000$. Chaque timbre est ainsi coté 900 euros pour un timbre oblitéré dans mon catalogue Michel de 2018. Cette importante différence n'est pas sans interroger, et comme l'a dit une femme politique française : "quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup". Vous vous en doutez donc, nous allons débusquer ce loup.

     A gauche un timbre extrait du lot, à droite un timbre de référence.

    Les timbres du lot sont oblitérés. Il s'agit sans doute d'une oblitération CTO dont l'Union soviétique abusait pour la vente du surplus de ses timbres. Si l'on regarde avec attention, et sans même un microscope, les timbres du lot dont la surcharge et l'oblitération se mêlent, on se rend compte que l'encre de la surcharge recouvre l'oblitération. D'ailleurs cette encre est visiblement et même nettement différente. L'alignement des lignes, la forme des lettres, tout cela est particulièrement mauvais et traduit une pauvre contrefaçon.
    Peut-être, allez-vous me dire, mais ces timbres sont expertisés, il sont signés! je vous renvoie à mon article d'avril 2024 pour les détails, mais voyons rapidement cela.
 
Il s'agit sans doute d'une signature de référence SPhA (Soviet Philatelic Association), mais ce n'en est qu'une pâle imitation. Voici la signature de référence :
    Ces 371$ ont donc été dépensés pour des contrefaçons. Qui en est responsable?
    Le vendeur? Il annonce pourtant la couleur "sold as is". Il y a derrière cela une hypocrisie. Vendu "tel quel" signifie que c'est à l'acheteur de se faire son opinion, mais que le vendeur se décharge de toute responsabilité. Il n'a pas pour autant marqué "sold as forgery" qui est - il faut bien le dire - beaucoup moins vendeur...
    L'acheteur? Sans aucun doute hélas. Pour tous les timbres / enveloppes de la Russie que je peux acheter, ma devise est "tout est faux, sauf à preuve du contraire". Si je ne peux pas prouver, je n'achète pas... A appliquer cette devise, donc à prendre son temps et à faire un minimum de recherches on peut s'épargner bien des déconvenues, et de perdre de l'argent inutilement, et à s'en dégoûter des timbres...
 

 

 

dimanche 9 juin 2024

Vente sur offres n°55 chez Behr. Timbres de Nikolaïevsk sur Amour? oui... mais en fait non.

    La maison Behr propose dans sa vente sur offres n°55 (clôture le 27 juin 2024) des timbres de la guerre civile russe. Ces timbres de l'extrême-orient russe sont issus de l'émission dite de Nikolaïevsk sur Amour, une émission sujette à controverses sur laquelle nous reviendrons plus tard.

    Behr présente plusieurs exemplaires de cette émission autour d'un lot phare, le 3602, comportant un certificat d'authenticité du 20k sur 3.5R, établi par le consulat de France à Vladivostok.

 

    Dans le journal Rossica n°111, le docteur Ivo Steyn signale la présence de ces certificats et en montre deux. On pourra toujours s'interroger sur le pourquoi du certificat établi par un consulat et au profit de qui ; gageons que le célèbre vendeur de Vladivostok Pappadopoulos n'est pas loin. Mais quoi qu'il en soit, le timbre du lot 3602 est authentique, et le certificat a bien été établi à Vladivostok par le consulat de France. 

    Intéressons-nous maintenant aux lots 3598 à 3604 (à l'exception du 3602 précédemment cité).

Lot 3598 (à gauche l'exemplaire Behr, à droite l'exemplaire de référence)

Un timbre rare :

 


Lot 3599 
(à gauche l'exemplaire Behr, à droite l'exemplaire de référence)

Un timbre que l'on trouve plus facilement :

 


Lot 3600
(à gauche l'exemplaire Behr, à droite l'exemplaire de référence)

 

 

Lot 3601 (exemplaire Behr, je n'ai pas de timbre de référence, mais la surcharge de 20k est identique à la précédente).

 


 Lot 3603
(à gauche l'exemplaire Behr, à droite l'exemplaire de référence)


Lot 3604
(à gauche l'exemplaire Behr, à droite l'exemplaire de référence)
 



 

En résumé, l'encre utilisée, la forme des lettres (etc) rien ne coïncide...

J'en ai courtoisement informé Monsieur Behr par un mail en date du 4 juin, sans réponse à ce jour... Je ne manquerai pas de vous tenir informés de la fin de l'histoire.

 

 Suite de l'histoire, le 28 juin 2024 : Monsieur Behr n'a pas tenu compte de mon message ; chacun en déduira ce qu'il veut. Il n'a vendu aucun timbre de cette série...